Rappel des principaux événements récents
Le risque climatique n’est pas le seul à se dégrader. Selon les estimations de Swiss Re, le nombre de réclamation liés aux émeutes et aux violences urbaines exceptionnelles a en effet été multiplié par 10 ces dernières années.
L ‘année 2020 se démarque avec les émeutes liées à la mort de George Floyd aux États-Unis. Elles ont été les plus coûteuses de l’histoire de l’assurance américaine, avec des pertes comprises entre 2 et 3 milliards de dollars. Un an auparavant à Hong Kong, des troubles avaient éclaté à la suite de la loi d’extradition, ce qui avait coûté près de 80 millions de dollars aux assurances. En 2024, des émeutes au Royaume-Uni avaient provoqué 300 millions d’euros de pertes assurées.
La France n’a pas été épargnée. Parmi les dix événements SRCC les plus coûteux de ces dix dernières années, trois se sont produits en France : les manifestations du mouvement des Gilets Jaunes en 2018-2019, les émeutes consécutives à la mort de Nahel en juin 2023, et celles survenues en Nouvelle-Calédonie en 2024.

Sources : émeutes de 2005 | manifestation des Gilets Jaunes | émeutes suite à la mort de Nahel | émeutes de Nouvelle-Calédonie | source secondaire Nouvelle-Calédonie
En France, selon les données sur nous avons recensées, les pertes marché s’élèvent ainsi à 1,7 milliard d’euros en cumulé sur les deux dernières années.
Les collectivités territoriales sont des cibles prioritaires pour les émeutiers. Lors des émeutes de 2023, elles ont représenté quasiment 1/3 des coûts en dommages. C’est l’une des raisons des difficultés croissantes pour les collectivités à s’assurer1.
Les émeutes qui ont frappé la Nouvelle Calédonie en 2023, avec plusieurs semaines de heurts et de paralysie économique, ont ébranlé tout le marché. Ce choc supplémentaire a conduit à une réduction drastique de l’offre assurantielle pour les collectivités locales, outre-mer et aussi en métropole.
1 Le taux global de lots Dommages Aux Biens demeurés sans attribution après appels d’offres a bondi de 21,8% en 2024 à 37,7% en 2025 (source : CNSCRA dans l’Argus).
Risque émeutes : éléments déclencheurs
La modélisation du risque d’émeutes repose en grande partie sur la capacité à anticiper le comportement des émeutiers, c’est-à-dire comprendre les raisons qui les poussent à manifester.
Les émeutes sont bien souvent la conséquence de problèmes sociaux enracinés dans la société. Les émeutiers cherchent à exprimer leur colère face à ce qu’ils perçoivent comme une injustice, qu’elle soit d’ordre économique, politique, judiciaire ou liée à des discriminations subies par une partie de la population. Cependant, pour qu’une émeute survienne, il faut que s’ajoute au contexte social un élément déclencheur. C’est le rôle de la mort de Nahel dans le cas des émeutes de juin 2023.
Des facteurs psychologiques entrent également en ligne de compte. L’anonymat, conjugué à l’effet de groupe, peut amener certains individus à commettre des actes violents qu’ils n’auraient jamais envisagés dans un autre contexte.
Enfin, les médias, et plus particulièrement les réseaux sociaux, jouent un rôle non négligeable dans le déclenchement et la propagation d’une émeute, permettant en quelques minutes, de coordonner des actions entre individus qui très souvent ne se connaissaient même pas auparavant.
Modélisation du risque d’émeutes
L’élément déclencheur d’une émeute est difficile voire impossible à prédire. C’est pourquoi nous avons plutôt choisi de modéliser le climat propice au déclenchement et à la propagation d’une émeute.
Pour ce faire, nous avons créé une base de données issue de l’open data, regroupant pour chaque année entre 1996 et 2019, et pour chaque pays dans le monde, le nombre d’émeutes ainsi que différentes variables décrivant le contexte socio-économique du pays.
Pour le modèle,
- un algorithme de forêt aléatoire a été utilisé ;
- la méthode de calibrage est décrite dans le schéma présenté ci-dessous ;
- l’entraînement a été effectué à l’échelle européenne.

Si l’on considère l’année 2019 comme année « test », le modèle présente des résultats satisfaisants, tant sur la partie test que sur la qualité de la calibration, comme le montre le graphique ci-dessous :

Zoom sur la France : quel risque d’émeutes ?
Si, à présent, on zoome sur la situation de la France, on obtient le graphique suivant :

Ce graphique permet d’observer la bonne qualité de prédiction du modèle. Il montre également un changement de tendance du nombre d’émeutes en France. On remarque en effet que le nombre d’émeutes augmente significativement entre les périodes 2000-2010 et 2010-2020, passant de moins de 12 émeutes par an à plus de 20 émeutes par an en moyenne.
Maintenant que nous disposons d’un modèle de bonne qualité, nous construisons différents scénarios pour pouvoir prédire la tendance émeutière pour 2026 en France. Au total, nous faisons varier trois indicateurs :
- le PIB/habitant en taux de parité de pouvoir d’achat (ppp)2,
- le pourcentage de la population sous le seuil de pauvreté,
- le taux de chômage.
Ceci permet de construire un total de 19 scénarios différents. Les autres variables quantitatives utilisées dans le modèle, sont identiques dans tous les scénarios.
Le graphique ci-dessous présente les résultats de ces projections :

Il apparaît tout d’abord assez intuitif d’observer qu’un PIB plus faible entraîne une augmentation du nombre d’émeutes pour l’année à venir.
De la même manière, une hausse du pourcentage de la population vivant sous le seuil national de pauvreté accroît également le risque d’émeutes.
Enfin, un taux de chômage plus élevé conduit lui aussi à une intensification du nombre d’émeutes dans le pays.
Ces projections s’inscrivent dans la continuité du changement de tendance observé plus tôt : le nombre d’émeutes se situe désormais autour de 23 par an, contre une moyenne d’environ 10 au cours des années 2000-2010.
2 Permet d’avoir un PIB/habitant comparable entre les pays selon un même panier de course.
Conclusion
Le modèle développé permet d’estimer, à partir de données socio-économiques, la tendance nationale du nombre d’émeutes dans un pays donné. Ce modèle peut être utilisé par les assureurs pour générer des indicateurs nationaux afin de mieux piloter et anticiper leurs expositions au risque d’émeutes.
En particulier, il démontre que la tendance haussière des émeutes en France n’est pas due au hasard, mais bien à la dégradation d’un climat national qui pourrait générer d’autres événements d’ampleur dans les prochaines années.